Du laboratoire au tour de piste : atteindre la haute performance sportive
Le Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) s’associe à ALTEN et à la Fédération Française de Cyclisme (FFC) pour mettre l’expertise de l’ingénierie au service de la performance sportive.
En France, le CNRS regroupe quelque 200 laboratoires et 1 300 chercheurs couvrant des aspects allant des sciences humaines et sociales à la modélisation, en passant par l’intelligence artificielle et les capteurs, entre autres. Les innovations visant à améliorer les performances des athlètes peuvent s’articuler autour de différents objectifs.
En vue des Jeux Olympiques de 2024, le gouvernement français a identifié des défis thématiques qui vont de l’interaction avec l’environnement à la prévention des risques, en passant par la préparation mentale, l’optimisation des équipements, les gestes sportifs, les charges d’entraînement et le big data/intelligence artificielle au service de la performance.
Le jumeau numérique
L’une des approches innovantes d’ALTEN et du CNRS consiste à réaliser des scanners 3D des athlètes. Ces scanners sont utilisés pour » reconstituer » l’athlète, ce qui permet d’obtenir une reproduction grandeur nature de la morphologie du cycliste, une sorte de mannequin dynamique. C’est ce qu’on appelle la technologie du « jumeau numérique ».
« Nous avons commencé à jouer avec l’idée de cloner des athlètes en 2016 », explique Georges Soto-Romero du laboratoire de recherche LAAS-CNRS, spécialisé dans l’analyse et l’architecture des systèmes. « Les premières tentatives n’ont pas été très fructueuses. Les technologies de numérisation 3D que nous utilisions fonctionnaient bien pour les façades de bâtiments et les sculptures, mais la peau humaine et les pièces en carbone ne marchaient pas très bien. » Néanmoins, les partenaires – Georges Soto-Romero, Emmanuel Brunet, directeur de la recherche et de la performance de la FFC, et Antony Costes – qui est aujourd’hui chef de projet en recherche et développement chez ALTEN et triathlète professionnel, premier Français à avoir réalisé un Sub8 sur la fameuse distance Ironman – n’ont pas abandonné. L’évolution de l’impression 3D combinée à une bonne dose de détermination leur a permis de faire mûrir la technologie du jumeau numérique.
Aujourd’hui, les scans sont réalisés sur une imprimante 3D très sophistiquée dans les laboratoires du CNRS à Toulouse. La production du modèle nécessite plus de 1 700 heures d’impression pour obtenir la réplique à l’échelle. « Bien sûr, précise Antony, le premier essai n’est pas toujours – ni même généralement – couronné de succès. Sans compter les échecs, nous parlons dans ce cas de 71 jours d’impression non-stop ». Antony se réfère à un modèle basé sur l’un des principaux espoirs de la France pour l’or Olympique en 2024, Benjamin Thomas. « Si l’on ajoute à cela les ajustements apportés à la conception, on est plus proche des 100, voire 150 jours. »
L’étape suivante consiste à créer les articulations qui permettront d’assembler un mannequin entièrement articulé. Cela implique un important travail d’ingénierie mécanique – sur les pivots, les axes de rotation, les roulements, etc. – pour permettre au jumeau numérique de pédaler et de bouger de manière à simuler les mouvements de l’athlète réel.
Précision et praticité
Malgré cet investissement en temps, en technologie et en efforts, l’approche est d’autant plus pratique qu’avec leurs programmes d’entraînement et de compétition intensifs, les athlètes ont une disponibilité très limitée pour les tests en personne. « Ils participent à des compétitions plus de 200 jours par an », explique M. Antony. « Grâce à la technologie des scanners 3D, nous pouvons être très précis dans notre reproduction. Une fois le jumeau numérique perfectionné, les chercheurs sont en mesure de simuler la dynamique du cycliste – comme les caractéristiques de pédalage – et d’en étudier les effets en détail. L’évolution de la qualité des scanners au fil des années a contribué à l’efficacité de ces simulations, tout comme, bien sûr, l’expertise d’ALTEN en matière de modélisation. Au total, ce sont 66 consultants ALTEN qui sont intervenus sur ce projet, aussi bien des juniors en formation que des ingénieurs mécaniciens expérimentés sur des projets automobiles, ferroviaires ou de défense.
Les ingénieurs d’ALTEN Labs créent une base de données pour chaque athlète, à partir de laquelle ils élaborent des méthodes de simulation et effectuent des calculs sur leurs puissants serveurs. Par exemple, pour obtenir un coefficient aérodynamique du freinage de l’athlète par l’air, le jumeau numérique du cycliste est placé dans une soufflerie numérique.
Les équipements peuvent également être étudiés. « Nous avons créé une base de données de casques numériques », explique Georges, « ce qui signifie que nous pouvons prendre un athlète qui a été scanné et essayer différents casques pour aider l’athlète à choisir celui qui sera le meilleur du point de vue aérodynamique ».
Des gains marginaux pour de grandes victoires
« Un avantage supplémentaire, poursuit Antony, est que le mannequin pédale toujours de la même manière et a une position parfaitement reproductible, contrairement à un athlète qui bougera la tête, les épaules, etc. La position du mannequin est changée entre les courses afin d’exploiter au mieux la sensibilité. « Il s’agit d’une approche très performante qui nous permet de détecter des différences minimes, mais cumulatives », conclut-il. « Nous sommes en mesure d’accumuler ce que nous appelons des gains marginaux. La somme est importante ».
Antony souligne l’importance de l’attention portée aux détails lorsqu’il s’agit d’optimiser les performances d’un athlète. « Quand je parle d’étudier les effets fins, je parle de choses comme l’emplacement d’une couture sur la combinaison d’un cycliste ». Placer une couture au bon endroit permet d’économiser jusqu’à dix watts à 45 km/h, soit un demi-kilomètre à l’heure. L’idée est de faire basculer le flux d’air », explique Antony, « ce qui lui permet d’être capté plus en aval ». Quand on sait que les courses sur le vélodrome se mesurent en millièmes de seconde, insiste-t-il, il est crucial de savoir où placer ces aspérités.
Le jumeau numérique permettra à la fédération d’aller dans ce sens. « En matière d’innovation, il faut commencer petit pour voir grand.”