Missions Spatiales : Faire Plus avec Moins

Missions Spatiales : Faire Plus avec Moins

CONALL DE PAOR / Doctorant – ALTEN & ISAE-SUPAERO 

Conall de Paor a obtenu son MSc. en ingénierie des systèmes spatiaux de l’ISAE Supaero, France et son BEng. à l’Université de Limerick. Lors de son stage de fin d’études chez ALTEN, il a décidé d’entreprendre un doctorat autour de l’idée qu’il a développée en participant au Congrès International d’Astronautique (IAC) de 2022 à Paris. 

Pouvez-vous nous parler de votre thèse ? 

Le titre de ma thèse est Moneyball. Je l’ai intitulé ainsi d’après le film éponyme de 2011, dans lequel Brad Pitt interprète le manager de l’équipe de baseball Athletics d’Oakland. Son défi est de monter une équipe compétitive avec très peu de fonds. Il décide d’ignorer les méthodes traditionnelles d’évaluation des joueurs qu’il peut s’offrir, en se basant plutôt sur les statistiques clés de leurs performances sur le terrain pour constituer une équipe ayant une forte probabilité statistique d’entrer en jeu et de marquer des points. La méthode a fonctionné et les Athletics d’Oakland ont battu le record de la plus longue série de victoires dans le baseball cette année-là. 

C’est ce que je souhaite faire avec ma thèse : décomposer les missions spatiales en éléments distincts et examiner la combinaison de ceux-ci pour imaginer des missions peu coûteuses qui nous permettront de concevoir des missions beaucoup plus ambitieuses. Voilà l’essentiel. 

Est-ce quelque chose qui n’a jamais été fait auparavant ? 

Dans le domaine de la conception de systèmes spatiaux, de nombreux travaux ont été réalisés pour trouver des solutions optimales à des problèmes spécifiques tels que le delta-V ou le temps de vol, mais, à ma connaissance, personne n’a essayé d’optimiser l’ensemble de l’architecture d’une mission spatiale en termes de coûts. Mon doctorat s’appuie sur ce qui a déjà été fait – au Massachusetts Institute of Technology, à l’ISAE-Supaero et à l’université de Stuttgart : construire sur les épaules des géants, comme on dit. 

Quels sont les principaux défis ?  

En ce qui concerne la conception des missions spatiales, les coûts sont très élevés. Le problème le plus évident à résoudre est celui de la réutilisation. De nombreuses avancées ont été réalisées, par SpaceX et d’autres entreprises, ainsi qu’avec le Space Shuttle de la NASA. Mais la réutilisation n’est pas une solution miracle pour réduire les coûts ; l’infrastructure nécessaire à la maintenance d’un système spatial réutilisable peut finir par coûter presque aussi cher que l’utilisation de systèmes non réutilisables. En outre, l’une des raisons pour lesquelles le Space Shuttle de la NASA était si cher était que sa mission était trop vaste : il devait transporter 24 tonnes vers l’orbite terrestre basse, ramener du fret depuis l’orbite, atterrir sur une piste d’atterrissage et être réutilisable. Après coup, il est clair que ses capacités extraordinairement étendues l’ont rendu inefficace pour mener à bien des missions spécifiques. Il s’agit donc de concevoir des systèmes à focalisation unique et de les intégrer intelligemment dans l’infrastructure spatiale existante afin d’éviter les coûts excessifs de réutilisation rencontrés par le Space Shuttle. 

Quels sont les coûts les plus importants pour les missions et les systèmes spatiaux ? 

Pour les missions d’exploration, les coûts de développement sont généralement les plus élevés. Les missions d’exploration de la Lune, de Mars ou d’autres planètes repoussent les limites technologiques. En raison de la distance qui les séparent de la Terre, le délai de communication, même à la vitesse de la lumière, est de trois ou quatre heures. Il faut donc que le vaisseau spatial soit autonome et très fiable, car s’il tombe en panne, on ne peut rien y faire. 

Au début des années 2000, la NASA avait pour mantra : « faster, better, cheaper » (plus vite, mieux, moins cher). On s’est rapidement aperçu qu’il était très difficile d’y parvenir, en réalité c’était devenu une plaisanterie de dire « plus vite, mieux, moins cher – choisissez-en deux ». Le produit peut être plus rapide et moins cher, mais il n’en sera pas meilleur. Ou bien il peut être plus rapide et meilleur, mais il ne sera pas moins cher. Il peut être moins cher et meilleur, mais il ne sera pas plus rapide. Il y a toujours un compromis à faire. 

Quelle évolution technologique prévoyez-vous dans l’industrie spatiale ? 

Ce qui pourrait réduire les coûts de manière drastique serait l’entretien en orbite – un moyen de réparer le satellite lorsqu’il est déjà là-haut. Cela a déjà été réalisé par la navette spatiale avec le télescope spatial Hubble, mais cela a coûté énormément d’argent. S’il existait un satellite non-habité capable de se rendre sur place et de résoudre le problème, l’industrie pourrait économiser beaucoup d’argent (voir ce qui est arrivé à Viasat-3 en 2023). Il s’agit d’un domaine intéressant qui est actuellement exploré par diverses entreprises du secteur du New Space (telles que Infinite Orbits et Lockheed). La réutilisation et une meilleure conception des systèmes seront les principaux facteurs de réduction des coûts. 

Quel est le soutien apporté par ALTEN dans vos travaux ? 

J’ai deux encadrants au sein d’ALTEN : Julien Lafforgue, Directeur ALTEN Lab d’Innovation et Sébastien Maes, Responsable Assemblage, Intégration et Validation Satellites, dont l’expertise m’a été extrêmement utile dans l’élaboration de ma thèse.  Ma seule mission chez ALTEN est de mener à bien ma thèse, j’ai donc la chance de pouvoir me concentrer à 100% sur mes recherches. 

Avez-vous des conseils à donner aux chercheurs en aérospatial ? 

Le mieux est l’ennemi du bien, mais il faut néanmoins tendre au plus haut degré de perfection pour espérer l’atteindre. Une dernière chose : vous aurez du soutien, mais vous devez être le pilote de votre doctorat. Vous seul pouvez apporter votre propre feu, votre propre motivation à régler un problème. Vous devez hisser les voiles et diriger le navire doctoral vers les limites de la connaissance humaine et au-delà.