Performants et responsables
Entretien avec Marc Amerigo et Antoine Albeau
Le nom du projet Zephir vient du grec zephyr, qui signifie brise chaude et douce. Il reflète l’objectif du projet : aller très vite sur l’eau sans grande dépense d’énergie. Les cofondateurs Marc Amerigo et Antoine Albeau nous parlent du projet et de leurs ambitions.
Marc, au cœur du projet Zephir, qu’est-ce qui vous anime ?
Marc : Ce projet est en fait une aventure humaine et technologique. Nous voulons glisser sur l’eau, et nous voulons le faire en laissant une très faible empreinte environnementale. Les lettres – ZEPHIR – nous racontent une histoire : » un Zéphyr souffle pour atteindre la performance éco-responsable grâce à l’humain et à l’innovation pour une révolution « . Parce que notre planète a des limites. Il s’agit d’aller très vite tout en étant éco-responsable : remplacer la fibre de carbone en changeant complètement les structures, les matériaux, pour imiter un poisson. Aucun poisson n’est fait de fibre de carbone, n’est-ce pas ?
Antoine, que représente le projet Zephir pour toi ?
Antoine : Chaque fois que je vais sur l’eau, j’ai toujours un grand sourire. Dès que je commence à voler sur un foil, c’est un moment de pure liberté. Je suis seul sur ma planche, je peux aller où je veux. Et ça, c’est fabuleux. Mais c’est vrai aussi qu’il y a encore beaucoup de choses à explorer, surtout en ce qui concerne la vitesse. Pourquoi ne peut-on pas aller plus vite ? C’est ce genre de choses que j’aimerais creuser, le pourquoi et le comment. Alors, à ce moment précis de ma carrière, je me demande pourquoi pas maintenant ? Pourquoi ne pas approfondir cette recherche sur le fonctionnement réel de la planche à voile et essayer d’aller de l’avant. Il ne s’agit pas de gagner un kilomètre par heure, mais 10 ou même 20. Quels sont les problèmes, quels sont les avantages ?
Comment ce projet a-t-il vu le jour ?
Marc : Antoine est le sportif français le plus titré, avec 26 titres de champion du monde. C’est une bête de compétition ; depuis 30 ans, il est au sommet du circuit mondial avec 15 ans de domination totale. Mon rôle est de conduire le projet global et l’ingénierie. Lorsque nous nous sommes rencontrés, c’était une combinaison parfaite, car c’est la relation entre la science et l’athlète qui vous permet de vous dépasser, d’aller au-delà de vos limites. C’est ainsi qu’est né ce projet unique de pulvérisation des records.
Comment vos objectifs évoluent-ils ?
Marc : Comme le dit Antoine, historiquement, notre premier objectif était d’établir de nouveaux records du monde. Nous avons commencé par travailler pour comprendre ce que fait la nature, en creusant plus profondément avec les scientifiques, avec les connaissances. Au fur et à mesure, on s’est rendu compte que pour produire un kilo de foil pour nos planches, on produisait essentiellement, en termes de carbone, l’équivalent de deux mois de consommation d’énergie d’un foyer français. Les garages de la plupart des windsurfers sont remplis de foils, de planches, de mâts et de wishbones ; le coût énergétique – notre empreinte environnementale – est catastrophique. Alors, nous nous sommes dit : nous disposons d’une puissance de calcul phénoménale, comme jamais auparavant. Grâce au biomimétisme, nous pouvons modéliser et comprendre des structures extrêmement complexes que l’on trouve dans la nature. Avec l’impression 3D, ou plutôt la fabrication additive, nous pouvons créer ce que nous avons modélisé et le mesurer à l’aide de capteurs. Enfin, il y a la science des données et les algorithmes d’IA. Tout cela nous permet d’entrer dans une nouvelle dimension de très haute performance.
La technologie est donc très importante, n’est-ce pas ?
Marc : Oui, la technologie est un élément très important du projet. En même temps, il y a beaucoup d’autres éléments derrière la haute performance. Cela se joue souvent dans la tête et dans les moindres détails. Il ne suffit pas de dépendre uniquement de la technologie numérique, de l’intelligence artificielle, etc., car en fin de compte, c’est l’individu – seul ou en équipe – qui va devoir faire face à des événements et à des éléments très complexes. En fin de compte, c’est l’individu qui a le contrôle.
Pourquoi y a-t-il autant de partenaires dans le projet ?
Antoine : Nous avons des prototypes à réaliser, des planches à concevoir, des foils à fabriquer, beaucoup de choses à faire avec les voiles et tout cela ne peut pas se faire tout seul ! On a besoin d’experts très engagés.
Marc : C’est exact. Et parce qu’ensemble, on va plus vite, on va plus loin. Antoine est le véliplanchiste le plus rapide du monde, et il l’a fait presque seul, avec quelques personnes compétentes. Mais aujourd’hui, en réalité, nous avons créé un écosystème et il découvre ce que c’est que de travailler collectivement. Nous avons impliqué toute une série d’acteurs, de l’éducation à l’industrie, en passant par les organismes institutionnels et les jeunes, même ceux qui sont encore à l’école, ont été impliqués dans le dispositif. Notre plus jeune équipier, Pierre Schmitz, a 17 ans. Il s’agit vraiment d’embarquer le plus grand nombre dans un esprit de synergie et d’interdisciplinarité.
Comment décririez-vous la rencontre entre le sport, la science et l’industrie ?
Marc : C’est une collaboration qui a beaucoup de sens. Dans le monde du sport, il y a les valeurs bien connues de l’engagement, de la foi en ce que l’on fait, de la passion, qui sont toutes des valeurs humaines fortes. Et puis il y a le côté scientifique. La science a beaucoup de certitudes, mais il y a aussi beaucoup d’inconnues, où il faut se remettre en question avec humilité. Les grandes entreprises savent que nous allons les pousser à s’engager dans de nouveaux horizons. En fait, nous allons en terrain inconnu. L’enjeu est de taille, mais nous aimons le défi.
Antoine : Nous ne cherchons pas nécessairement de grands ou de petits partenaires, nous voulons que les gens puissent dire : « J’ai participé au projet Zephir ». On veut que les gens viennent avec nous, qu’ils montent dans le van ou sur la planche avec nous dans cette aventure tout à fait exceptionnelle.
Y a-t-il d’autres avantages que de gagner des médailles et d’établir de nouveaux records ?
Marc : Bien sûr. Il y a la dimension de trouver des solutions pour l’avenir, d’apporter des réponses qui seront utiles ailleurs, que ce soit dans le domaine de l’énergie durable, des soins de la santé ou dans bien d’autres domaines. C’est se lancer dans un projet qui nous rapproche de l’avenir. C’est aussi gérer les talents car les ingénieurs d’aujourd’hui veulent que ce qu’ils font ait du sens. Et je suis tout à fait d’accord avec eux !