Quand la digitalisation révèle un potentiel insoupçonné
Pourquoi se lancer dans la digitalisation quand on est une ETI, leader mondial, positionnée sur un métier traditionnel et donnant pleine satisfaction à ses clients avec des produits fiables et pérennes ? L’expérience de Sophie Donabedian, Chief Digital Officer (CDO) chez Sediver (Groupe Seves).
La digitalisation chez Sediver coulait-elle de source ?
Quelques mots pour comprendre le profil de Sediver : environ 1000 salariés, 70 ans d’existence, une situation de leader mondial dans la fabrication d’isolateurs en verre, des composants stratégiques installés sur les lignes électriques haute tension.
Nos clients ne nous poussent pas vers l’innovation, ils veulent des produits fiables et pérennes qui vont durer 40 ans. On est très éloigné des métiers disruptifs qui ont tout de suite vu dans la digitalisation un catalyseur de business.
Chez nous, l’impulsion est venue des actionnaires et du CEO qui, de façon visionnaire, ont considéré la digitalisation comme un moyen à déployer au service de la stratégie. Restait à imaginer ce que l’on pouvait en faire…
Quelles pistes avez-vous explorées ?
Nous nous sommes recentrés sur les besoins de nos clients, ce qui paradoxalement n’est pas si évident lorsqu’on est leader et que l’entreprise fonctionne bien.
Nous avons cherché comment nous différencier et accroître la satisfaction de nos clients pour conserver notre leadership.
Nous avons réfléchi à de nouveaux business models, notamment la création de services autour de nos produits. Parallèlement, en interne, nous mettons en place des process et des outils digitaux qui favorisent le travail collaboratif, qui fluidifient les échanges, qui impactent l’image de l’entreprise…
Quels sont les premiers succès de cette digitalisation ?
Voici un exemple. Nous savons que la pollution impacte la performance de nos isolateurs. Pour nos clients, qui ont des milliers de kilomètres de lignes haute tension à gérer, la maintenance de ces équipements est un vrai enjeu. En repartant du besoin client et grâce à l’IoT – des capteurs installés sur les isolateurs –, nous avons développé une offre de monitoring en temps réel pour faire de la maintenance prédictive. Cela réduit les coûts de maintenance des isolateurs et cela améliore également la disponibilité de la ligne.
Dans notre domaine, il s’agit d’une approche innovante, disruptive. D’une part parce que cette nouvelle proposition de service change l’image de Sediver chez nos clients ; d’autre part parce qu’elle nous permet d’avoir des contacts plus fréquents et plus réguliers avec eux ; et aussi parce qu’elle nous ouvre de nouvelles perspectives dans le monde des smart grids.
Cinq projets sont d’ores et déjà déployés dans le monde, et plusieurs autres sont en discussion. Ce projet d’offre de services est moteur et fédérateur pour les différentes fonctions de l’entreprise. Les collaborateurs en sont fiers.
Quel est votre rôle dans cette transformation ?
Je dois embarquer les personnes, les convaincre de l’intérêt de la démarche, les fédérer autour des projets, leur montrer le bénéfice qu’elles-mêmes et les clients vont en retirer.
Je me situe à la croisée des métiers dans l’entreprise – IT, marketing, innovation – car je dois faire en sorte que tous travaillent ensemble, en cassant les silos.
J’ai un rôle d’agent du changement : je dois amener l’organisation et les collaborateurs à envisager les sujets sous un autre angle.
Pour cela, comme dans le sport, l’équipe doit s’échauffer, engranger ses premières victoires, essayer encore et encore pour réussir et progresser. Mon rôle est de créer cette dynamique. Nous avons par exemple mené une opération de communication auprès de nos clients sur un salon en utilisant une application développée par une start-up. L’idée était de faire du tracking pour voir quel type d’information (technique, commerciale, etc.) intéressait en priorité nos clients afin d’orienter nos actions futures.
Cette opération a permis aux collaborateurs de voir que de nouvelles approches étaient à notre portée et que l’on ne risquait rien à les tester. Ça a permis d’ouvrir une brèche. Et c’est ça aussi le digital : tester, échouer, apprendre, pivoter, recommencer. Le tout très vite. Je pratique la stratégie des petits pas. Par exemple, je contourne les réticences à l’égard de nouveaux outils digitaux en utilisant Microsoft Planner pour la gestion des projets au quotidien et Klaxoon pour les réunions collaboratives, et en en faisant des outils incontournables.
Les salariés ont leurs habitudes, d’autant plus ancrées que l’ancienneté est importante dans la société. Je dois leur donner l’envie d’essayer et pour cela, je dois saisir toutes les occasions. Le CDO doit faire preuve de persévérance, être pédagogue.
Si vous deviez résumer l’impact de la digitalisation sur une entreprise comme Sediver ?
Je la compare à un segment d’ADN qui vient modifier l’organisme mais qui rapidement se trouve agrégé, intégré à cet organisme. La digitalisation redessine les contours pour que l’entreprise poursuive son histoire avec de nouveaux atouts.
Pour les ETI, cette transformation est compliquée, elles ne savent pas par où commencer. Le pré-requis de la transformation digitale, c’est une stratégie claire et partagée – encore faut-il qu’elle existe – pour lancer des projets pragmatiques et impactants, et éviter l’écueil de l’innovation pop-corn, désordonnée et sans cohérence.
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observatoire des tendances et réalités de l’environnement technologique et industriel.